Reprise d’entreprise : Comprendre les relations avec les salariés

Publié le 26 janvier 2021Thème : Social, Reprise d'entrepriseType: questions réponses

De même que pour les relations avec le cédant, l’appréhension de la dynamique des salariés est essentielle pour avancer et surtout pour poser les bases d’un projet qui ne se fera pas sans leur adhésion.

La loi a institué un délai minimal quant à l’information des salariés d’une société qui va faire l’objet d’une cession : le dirigeant cédant doit informer au moins 2 mois avant la date de réalisation de la cession. La plupart du temps, dans ce timing, la Lettre d’Intention est déjà rédigée et les audits ont commencé. 

Pour des raisons légitimes de confidentialité, la décision de vendre l’entreprise reste secrète jusqu’à ce que le repreneur soit sélectionné et que la négociation ait abouti à la signature d’une lettre d’intention.

En effet, si les salariés, les clients, les fournisseurs sont au courant de la vente prochaine de l’entreprise, ils risquent d’adopter tous la même attitude : la peur du repreneur !

Cette information fait toujours l’effet d’une bombe pour les salariés. Le scénario est le même dans des entreprises gérées par des personnes proches de la retraite (voire qui pourraient déjà prétendre à partir en retraite) ou qui ont manifesté le désir de passer la main à un entrepreneur plus jeune.

Il est essentiel pour le repreneur de comprendre les mécanismes qui sont à l’origine des réactions des salariés, dans l’objectif  d’une part de ne pas les choquer, voire les bloquer et d’autre part, d’être en mesure de capitaliser sur la richesse de la valeur humaine présente dans l’entreprise cible.

Nous allons analyser :

  • L’acceptation de la cession
  • Les attitudes couramment exprimées par les salariés,
  • La résistance au changement
  • Le « billard à trois bandes »

L’acceptation de la cession  par l’équipe en place

Même pour des salariés qui s’y attendent, le fait que le propriétaire vende la société est toujours une réalité compliquée voire douloureuse.

Les salariés doivent, s’ils veulent dépasser cette étape :

  • faire le deuil de l’ancienne direction
  • accepter le repreneur dans une démarche autre que celle qui est connue jusqu’à ce jour.

Deuil : le mot peut paraître fort quand n’évoque pas le décès d’un être proche, mais s’applique bien ici et le passage demandé au salarié fait référence aux mêmes ressorts psychologiques.

Les mêmes capacités à fuir la situation ou au contraire à s’en saisir pour un mieux, sont notées aussi bien dans un moment où la vie demande d’accepter un décès ou bien le départ d’un dirigeant.

Les étapes du deuil du salarié :

Si l’on retient la théorisation du deuil selon Elisabeth Kübler-Ross (psychiatre américaine née en 1926), il est possible d’adapter les étapes du deuil humain à la disparition de son employeur :

  • Le déni : « il ne peut pas nous faire ça ». « On travaille ensemble depuis 20 ans, ce n’est pas possible ».
  • La colère : « il nous laisse tomber ». « Finalement, nous ne sommes que numéros dans l’entreprise »
  • Le marchandage : « on va tous partir, ils seront bien avancés ». « De toute façon celui qui rachète, il ne connaît pas la boite ».
  • La dépression et la résignation : « de toute façon, on n’y peut rien, ça va être horrible, ce ne sera plus comme avant ». « Il nous reste juste à attendre de partir en retraite ».
  • L’acceptation : « finalement, on va peut-être s’en sortir », « mon job continue et c’est aussi intéressant qu’avant », « on a même organisé différemment et au final, c’est plutôt bien ».

Le cheminement de deuil est personnel et doit être accompli par le salarié, lui-même. C’est à lui que revient la tâche, parfois complexe, d’aller jusqu’à l’acceptation de la situation.

Toutefois, il est du ressort du repreneur de favoriser les conditions dans lesquelles le deuil pourra se faire.

L’objet n’est pas de tenter d’atténuer les incidences et les craintes nées à l’occasion du départ des dirigeants historiques, mais permettre à l’équipe de passer rapidement à la dernière marche. Essayer de minimiser le départ, de faire comme si rien ne changeait (et donc comme si rien ne changera…), n’enlève pas les émotions de colère ou de résignation par exemple, mais surtout ne prive pas le salarié de devoir passer par ces étapes.

Finalement, le « faire comme si rien ne changeait », complique grandement la tâche personnelle de chacun des salariés, mais aussi celle du repreneur. 

De plus, certains salariés iront plus vite que d’autres dans ce cheminement, soit parce qu’ils ont moins d’attache avec l’ancienne direction, soit parce que plus simplement, ils ont un mode de réaction différent.

 Le « finalement rien ne change » risque d’installer deux vitesses et surtout de contraindre les salariés qui investissent, par fuite, cette dynamique du déni, à faire le travail de deuil beaucoup plus tard.

Parce que les choses nécessairement vont changer ! Tout ne va peut-être pas être révolutionné, mais l’organisation, les rapports humains, des habitudes vont se perdre et peut être d’autres se développer.

Il est important que l’équipe de la cible puisse avancer en même temps, ou du moins qu’elle ait les moyens de faire rapidement, certes à leur rythme, mais dès que possible.

Le processus même de reprise complique le deuil des salariés. En effet, l’accompagnement du repreneur par le cédant est postérieur à l’annonce du départ du dirigeant. Pendant cette période, l’objet même du deuil des salariés est encore présent, et même très présent, car une partie de son rôle est de transmettre de l’information, de faire le lien entre tout le monde et d’expliquer l’entreprise de l’intérieur !

Cette étape de l’accompagnement doit être assez courte et idéalement ne pas reproduire l’organisation existante ; c’est à dire que le cédant ne doit pas être à temps plein dans l’entreprise, doit avoir céder son bureau au repreneur, etc.

Si le cas échéant, toute l’information n’a pas été transmise dans le délai voulu, acquéreur et ancien dirigeant peuvent prévoir de se retrouver en dehors de l’entreprise pour travailler ensemble.

Attitudes possibles de la part des salariés d’une société reprise

Au cœur de cette étape du deuil de l’ancienne direction, les salariés peuvent adopter différentes attitudes :

Le doute sur la personne arrivant

Le repreneur n’a bien souvent, pas de légitimité naturelle, dans la mesure où il est rarement connu des salariés. Il est d’usage de considérer que sa seule capacité à prendre le poste de dirigeant et propriétaire est d’avoir pu emprunter pour acquérir la société.

Le repreneur doit communiquer clairement sur le projet et non pas essayer de vendre son CV, mais rassurer en montrant son investissement voire sa compétence dans le domaine d’activité ou dans la gestion.

Le blasé

Plusieurs, en train de faire leur deuil en étape de « marchandage » ou dans certains cas, ceux qui passent à l’étape d’acceptation, vont se persuader que finalement la reprise n’a aucune incidence ni sur eux ni sur l’entreprise.

Une personne blasée dans l’entreprise souffre de quelque chose : soit du fait que son poste n’a pas évolué, son intérêt pour le travail s’est émoussé. Lui promettre de grands choses accentuera sa défiance vis à vis de l’organisation et classera les idées généreuses au rang des promesses intenables.

Le repreneur aura à cœur de l’écouter et de prendre en considération les propos tenus. Il s’agit peut-être du moyen permettant de remotiver une personne, juste blasée par son poste et son métier.

Dans un second temps, il conviendra de traiter les questions posées.

Celui qui guette… le faux pas

Certains collaborateurs, en début de phase de deuil, en veulent au cédant, à la fois de ne pas les avoir prévenu, mais également de s’en aller.

Une des manières d’exprimer ce ressentiment consiste à le reporter sur l’acquéreur, en lui prédisant que la transition sera compliquée et que si « on a besoin de moi, il faudra faire des efforts, etc… ».

Ils sont réticents à toute modification de leur environnement de travail et feront preuve de beaucoup d’inertie, en essayant d’entrainer d’autres collègues, de manière à justifier ce qui était prévu : rien ne change positivement.

Lui aussi n’est pas heureux dans son poste de travail et il ne trouve pas lui-même comment sortir de ce cercle vicieux. Essayer d’entrainer d’autres dans son sillage de mécontentement, de critiques et d’inertie lui permet de justifier son attitude personnelle.

Une des voies pour lui faire rompre sa spirale est de le mettre au cœur de ce qui pourrait changer, de le valoriser et de lui donner une capacité et des moyens. Soit il s’en saisit et avance véritablement vers un mieux (favorisant par là-même son propre cheminement de deuil), soit il se mettra seul en dehors, sans entrainer le reste de la structure.

Le dragueur

Il s’agit de la personne, plutôt opportuniste, cherchant à se faire bien voir de la nouvelle direction, dans l’espoir de glaner quelques améliorations intéressantes de son quotidien.

Il oeuvre généralement seul, pour son propre compte, et manifeste un véritable engouement pour la reprise par le nouveau dirigeant.

Il n’a pas forcément bien accepté la cession de l’entreprise, mais cherche son intérêt premier.

Il ne s’agit pas de le remettre à sa place de manière directe, car dans son fonctionnement, il se sentirait humilié, et deviendrait une source de difficultés voire, par sa capacité à séduire, un poids risquant d’entrainer d’autres salariés dans son ressentiment.

En revanche, il peut être intéressant de lui donner de quoi s’investir en lui permettant de relire et de présenter son action à l’ensemble du groupe, de manière à le positionner au cœur de l’entreprise et pas uniquement dans une relation unique et bijective avec le nouveau dirigeant.

Le craintif

Toute crainte ne s’exprime pas forcément avec beaucoup de véhémence. Il peut arriver que des collaborateurs redoutent l’avenir au motif que ce qu’ils connaissaient disparaît soudainement.

Ils ont besoin d’écoute pour qu’ils puissent exprimer leurs craintes et leurs éventuelles insatisfactions ou attentes, qui peut être n’avaient pas toutes été comblées avec les cédants. Ce que nous proposons dans le guide es 360 premiers jours peuvent aider à connaître ces attentes et voir comment y répondre.

Le discret

Le salarié, discret, compétent et investi de manière professionnelle et sérieuse dans son travail est d’autant plus important et parfois complexe à identifier que précisément, il est discret !

Il peut s’agir d’une personne clé dans le fonctionnement de l’entreprise, peut-être pas par son charisme communicatif, mais par le sérieux de son travail et des relations qu’il a su nouer avec l’extérieur.

Par ailleurs, le discret peut avoir aussi des craintes et des insatisfactions.

Le repreneur aura a cœur de le valoriser (mais pas forcément de manière trop visible, pour ne pas le gêner) et l’écouter. Ce profil est souvent une source importante d’informations sur l’entreprise et son entourage.

Le meneur de groupe

Il s’agit d’une personne, bien connu de tous dans l’entreprise, très charismatique, souvent avec une bonne dose d’humour et d’entrain. Il peut arriver que ces personnes là soient parfois les plus rétives au changement et particulièrement à toute modification de leur poste de travail et leurs fonctions.

L’enjeu consiste à le faire progresser dans la structure, de manière à ce qu’il puisse utiliser sa capacité d’entrainement et de diffusion de l’information dans le cadre du projet du repreneur.

Il peut même être analysé avec lui, les moyens de l’intégrer à la politique de déploiement des objectifs du repreneur (en respectant bien entendu l’organisation hiérarchique initiale).

Résistance au changement

Un des enjeux de cette période de deuil par laquelle vont passer les salariés, est de transformer le dernier mouvement du deuil (l’acceptation), en une adhésion progressive au projet de l’entrepreneur.

Celui-ci a pour principale mission d’amener sa nouvelle équipe à intégrer son projet de développement et à adopter une posture d’acteur.

Toutefois, il risque de se heurter à une certaine résistance au changement, manifestée notamment par les différents comportements étudiés dans les pages précédentes.

Dans tout groupe humain, le changement n’est pas naturel et accepter de s’y laisser conduire n’est pas inné !

Un psychologue américain, Kurt Lewin, né en 1890 a beaucoup travaillé sur les groupes humains et étudié dans la manière de réagir d’un groupe comment l’amener à changer. Il fut parmi les premiers à développer et théoriser le concept de « dynamique de groupe ».

Dans les sciences du management, dont il fut l’un des artisans, dès le début du 20ème siècle, il est admis qu’au sein de tout groupe (notamment professionnel), toute modification apportée à un équilibre est de nature à susciter au sein du groupe des forces visant à annuler les effets de la modification.

Dans l’univers de la reprise d’entreprise, toute modification de l’organisation humaine, technique, même commerciale, peut donner lieu à l’émergence de forces contraires dont le but (pas forcément avoué ni clairement conscient) serait de limiter les effets de ces changements.

Par essence, le premier réflexe d’un groupe qui change de manager serait de retrouver par des voies détournées, les processus d’avant, ou les contrôles antérieurement en place.

De même, des salariés, proches de la direction, pourraient être tentés de jouer le rôle du repreneur vis à vis  de leurs équipes, ou à resserrer leur empreinte ou leur management, pour ne pas faire sentir trop les incidences du changement de direction.

Si l’on s’en tient à cette théorie, tout groupe constitué de salariés d’une entreprise mettrait en œuvre de manière quasi mécanique un contre poids au changement provoqué par le départ de l’ancienne direction et l’arrivée d’un repreneur.

Le repreneur d’entreprise doit intégrer cette donnée, d’une part pour prendre du recul face à une réaction d’inertie qui n’est peut-être pas toujours hostile, et d’autre part, être en mesure de développer une stratégie humaine lui permettant de vaincre ces verrous.

Un billard à trois bandes

Toute reprise d’entreprise met en relation trois partenaires, sur un calendrier précis et globalement très rapide : le cédant, les salariés et le repreneur.

Le scenario habituel est le suivant :

  • Le cédant négocie, en secret, avec le repreneur, les conditions de vente de son entreprise,
  • Le cédant annonce aux salariés qu’il vend son entreprise au repreneur,
  • Le cédant présente le repreneur aux salariés et ils sont tous les deux présents pendant une certaine durée,
  • Le cédant quitte définitivement l’entreprise et laisse en présence les salariés et le repreneur.

Il y a 3 ruptures, au sens du passage forcé, presque soudain, et aux conséquences fortes :

  • L’annonce aux salariés de la vente de leur entreprise
  • La rencontre avec le repreneur
  • Le départ définitif du cédant

Chacune d’entre elles est susceptible d’être vécue de manière plus ou moins douloureuse par les protagonistes.

L’annonce aux salariés de la vente de leur entreprise

Il est important de connaître les émotions qui peuvent être ressenties pas les salariés, même si le repreneur et le cédant n’ont pas beaucoup de levier et de prises pour aider les salariés à avancer. Cela se comprend, ils sont les causes même de ces émotions !

Quelque soit la forme de cette annonce, la situation de l’entreprise et les garanties plus ou moins fermes du dirigeant-cédant, cette information constitue une rupture avec la vie d’avant. Les salariés sont avertis tardivement, quand la décision est prise et que les engagements avec le repreneur sont déjà en grande partie actés.

Le salarié doit se faire à l’idée de ce qu’il perd, tout en se posant la question de l’après, de l’inconnu de ce qui va se passer. Même si le marché du travail et le marché économique est parfois chaotique, la présence de la Direction incarne une sécurité forte, un lieu qui jamais ne coulera dans l’entreprise.

Là, tout change, et précisément, c’est le lieu stable qui ne l’est plus. 

Emotion ressentie« travail » à réaliser
Tristesse liée à la perte de la relationDeuil
Crainte sur l’avenirRecul et acceptation de la rencontre avec le repreneur

Les salariés qui ont vécu de nombreuses années dans l’entreprise avec la même direction, peuvent être perturbés par cette annonce.

Il est important dans le processus de reprise, que les autres ruptures se produisent dans un calendrier resserré, pour aider les salariés à passer aux étapes suivantes le plus rapidement possible.

La rencontre avec le repreneur

Une rencontre, en soi, peut difficilement être le fruit ou engendrer un sentiment de rupture. Et pourtant, dans cette rencontre, plusieurs sentiments sont mêlés, assez perturbant pour les salariés :

  • la présentation réciproque consacre le fait que le dirigeant quitte effectivement. En cela, ces moments peuvent hâter le processus de deuil entamé par les salariés au moment de l’annonce de la vente.
  • Il peut se dégager un sentiment de culpabilité, une impression de trahison de la part des salariés qui vont nouer une relation avec quelqu’un qui n’est pas leur employeur et patron naturel. Cette trahison fait écho à celle parfois ressenti par les salariés à l’égard du cédant, qui les « laisse à leur pauvre sort » !

Le départ définitif du cédant

Le départ du cédant a lieu, dans la très grande majorité des opérations de reprise, à l’issue d’une période d’accompagnement.

La difficulté liée à cette rupture est qu’elle intervient après une période délicate à gérer, où le repreneur est déjà en place et joue le rôle du décideur, en présence de l’ancienne direction, qui le guide et lui fait découvrir les rouages de l’entreprise et les partenaires.

Suite à l’annonce du départ du dirigeant et à la mise en présence de son remplaçant, finalement le dirigeant reste encore !

La crainte serait que ce temps soit considéré comme un temps habituel où le cédant n’est pas vraiment parti.

L’enjeu pour le repreneur est de véritablement prendre sa place, malgré la présence du cédant. Pour l’y aider, un des objectifs du cédant est de se retirer de la place de direction, pour la laisser totalement vacante au profit de son acquéreur.

Plus cette période sera courte et les rôles de chacun clairement établis, moins le départ définitif du dirigeant sera vécu comme une rupture violente.

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