Retour à « la normale » ou retour à « l’anormal » ?

Publié le 8 juin 2020Thème : Conseil, Type: questions réponses

Nous quittons le confinement et l’arrêt imposé d’une partie de l’activité économique de nos sociétés dites développées et tournées vers le progrès. Nous allons donc pouvoir reprendre nos activités d’avant: combien d’économistes nous prédisent un retour à la « normale » !

Mais le faut-il ou précisément, doit-on absolument retourner à « la normale » ? Ne serait-ce pas plutôt un retour à « l’anormal » ?

Quel bilan tirer de ce confinement ?

Effets positifs…

Nous nous sommes rendu compte à cette occasion que la planète vivait mieux.

Par endroits la pollution était fortement réduite et les êtres humains ont débordé d’ingéniosité pour garder le contact avec leurs contemporains, le reprendre ou même l’amplifier.

Le confinement a même créé du lien qui n’existait pas, notamment dans un cadre de solidarité, vers des personnes mises en difficulté par cette situation nouvelle.

… mais aussi désastre sanitaire, économique et social

Bien sûr, cette crise a été pour un grand nombre de familles dans le monde, synonyme de douleur du fait de la perte d’un proche, atteint par le virus, et pour lequel les derniers moments ont probablement été vécus loin de leur famille.

D’autres ont vu s’écrouler leur chiffre d’affaires, donc parfois leur seule source de rémunération, avec une inquiétude sur l’avenir et le fameux retour à la normale !

Que va-t-il rester de cette période dans un pays comme la France ?

  • Retiendrons-nous en priorité les messages en boucle, anxiogènes délivrés par les médias, avide de faire intervenir tout expert ou pseudo expert qui se présente ? ou l’apparente et éphémère unité du pays vers ses dirigeants ou ses opposants ?
  • Les gestes et actions de solidarité entre les générations et les populations pour éviter l’isolement et aider les plus démunis ?
  • La prise de conscience de l’importance dans notre vie de métiers tellement nécessaires qu’ils en étaient devenus invisibles ?
  • L’obligation de porter des masques à chaque fois que l’on croise quelqu’un ?
Les gestes et actions de solidarité entre les générations ont été nombreux durant la crise sanitaire

Les tentations de l’après crise

Deux tentations nous guettent aujourd’hui : d’une part, considérer que tout a changé et mettre en place des organisations en conséquence et d’autre part, prendre conscience que tout va redevenir strictement comme avant, que cette crise ne nous a rien appris.

Tout a-t-il vraiment changé ?

On revoit le sommet de l’Everest à plus de 10 Kms de distance, la pollution en Chine a tellement baissé que l’air, pendant un temps, n’était plus opaque dans les villes, des canards sont revenus dans Paris !

Ca y est, on y est, enfin : le vieux monde a disparu et nous pouvons construire une nouvelle société, inter-pays, avec comme unique objectif la sauvegarde de la planète !

Soyons réalistes et prudent : tout d’abord, cette crise a révélé et mis sous les projecteurs des inégalités humaines fortes et difficilement acceptables.

Le changement ne peut être que global

D’autre part, il faut que tout le monde vive dans un schéma économique ou les uns dépendent des autres. Donc arrêter des grandes industries polluantes est surement génial pour la respiration immédiate de la planète, mais que faire des êtres humains qui vivent de ces jobs ?

Par ailleurs, ce serait utopiste de considérer qu’un petit groupe d’individus au sein d’un pays ou d’un continent a la capacité à modifier la nature des échanges mondiaux, à réduire l’empreinte humaine sur les ressources de la planète, quand des dirigeants de pays qui entretiennent une relation de pouvoir vers leurs « partenaires » décident de ne pas s’en préoccuper !

Une levée de confinement laissant un goût amer

Donc, oui, tout a changé parce que nous avons vécu autre chose et avons eu, pour certains, le temps de penser à cet après, à ce qu’il voulait véritablement en faire.

Mais dès la levée du confinement, nous avons tous été témoins des queues devant des magasins qui vendent des produits peut-être moins essentiels à la vie humaine qu’une nourriture saine, ou la grande désolation sur les réseaux sociaux parce qu’une plate-forme connue de distribution de produits sur toute la planète (parfois au mépris de la santé des salariés, des populations et des pays) était contrainte de stopper pendant quelques jours ses activités.

Non, tout n’a pas changé, parce que nos habitudes, nos cultures mêmes reprennent le dessus et s’imposent à nous.

Il ne peut être question de se culpabiliser d’aimer les vêtements et les fast-food ! Ce serait un jugement stérile qui ne ferait rien avancer.

Un regain de solidarité

Mais dans le « tout a changé », je veux y voir la capacité que j’ai gagné à réfléchir, à prendre du recul sur mon existence et la manière dont je la choisis et l’expérimente.

La dynamique de relation est différente, elle s’est centrée sur de nouveaux contacts, essentiels : ceux induits par la solidarité.

Nous n’avons pas uniquement du apprendre à gérer l’absence de nos proches. Beaucoup de citoyens dans les pays confinés ont expérimenté la rencontre avec d’autres qui n’étaient peut-être pas dans leurs cercles habituels de relations.

En effet, tout n’a certainement pas changé, mais il y a quelque chose, un élément de plus dans nos vies !

Non, tout redevient comme avant !

La seconde tentation, face à un événement d’une telle importance affectant la vie humaine, serait de considérer que c’était un moment tellement particulier qu’il ne peut s’inscrire que dans l’éphémère et le provisoire.

Les principes de réalité

Mais finalement, il faut retourner travailler, en transport en commun ou en voiture.

Il faut reprendre le cours d’une vie normale, avec cette même volonté de manger des fraises en décembre, ou de faire un maximum de voyages en avion en un minimum de temps pour aller dormir sur une plage à 180 mètres d’un bidonville.

Ma petite personne n’a pas une action très forte sur la pollution ou sur les inégalités !

Cette tentation est particulièrement pernicieuse parce qu’elle s’immisce dans nos principes de réalité : tu ne peux rien faire, toi, tout seul, petit individu, même avec la meilleure volonté du monde.

De plus, les scientifiques s’accordent à dire que les pandémies vont revenir, quelques soient nos comportements, donc on aura la chance de vivre ces moments de respiration planétaire et commerciale plusieurs fois dans notre vie !

Nous, êtres humains, dotés de réflexions et de recul, savons quand il ne faut pas trop s’interroger précisément. Et donc, oui c’était un moment très particulier que nous aurons à cœur de raconter à nos petits -enfants, mais qui s’arrête maintenant !

La question qui se pose à tous, aux dirigeants de grands groupes comme aux citoyens de toute société : souhaitons-nous, décidons-nous d’organiser le retour « comme avant » ?

C’est donc le retour à « l’anormal » plus qu’à « la normale » ?

La vie d’avant, où finalement on ne se posait pas tant de questions que cela est-elle à nouveau possible, à défaut d’être souhaitable pour la terre et les individus qui la peuplent ?

Nous pouvons, tous, apprécier la situation post-pandémie de 2020, en considérant qu’il faut à tout prix reprendre les mêmes habitudes et les mêmes options que celles qui prévalaient jusqu’en mars de cette année.

Beaucoup pensent et s’expriment aujourd’hui sur le fait qu’il n’est pas possible de revenir à la vie d’avant avec cette course effrénée à la satisfaction de toutes les envies sans se poser les questions de l’utilité et de l’incidence écologique induite.

Il semble même devenu politiquement correct de s’exprimer ainsi ! Et qu’en-est-il dans nos petites entreprises ?

Exemple : Qu’est-ce qui a changé dans ma petite entreprise ?

Je gère un cabinet d’expertise comptable parisien, dont la clientèle est composée majoritairement de PME et de TPE. Il emploie une quinzaine de personnes.
C’est une petite entreprise de services, comme il en existe des milliers d’autres.

Je trouvais intéressant de voir quelles étaient les incidences de la période de confinement sur le fonctionnement de cette petite structure.

Tout le monde est passé en télétravail entre le 16 mars au soir et le 17 mars à midi. Nous avons abandonné nos locaux, pris nos ordinateurs portables sous le bras et nous sommes installé chez nous. Certes, tous les collaborateurs n’étaient pas installés dans des conditions idéales.

Qu’est-ce qui a été modifié très rapidement dans notre vie professionnelle ?

  • Arrêt des impressions papier ou limitées au strict indispensable
    La digitalisation, qui n’était pas totalement aboutie chez nous est devenue la norme, certes dans un contexte d’urgence.
    Mais plus profondément, elle est devenue une évidence et une équipe s’est constituée pour l’organiser sereinement et posément, loin du climat d’urgence !
  • Absence de temps de transports le matin, et le soir.
  • Approfondissement des relations avec les clients
    A la fois sur un plan technique (« voulez-vous un coup de main pour les aides gouvernementales ? ») mais en premier lieu humain : « allez-vous bien ? ».
    On a vu refleurir dans les échanges de mails, des formules de politesse qui allaient au-delà du « BAV » (lire « Bien à Vous ») : des « j’espère que tout va bien pour vos proches » ou « prenez soin de vous », etc.
  • Sentiment que les relations professionnelles sont nécessaires à l’équilibre
    Le fait d’être privé de café à plusieurs à la machine à café a mis en exergue que ce qui était du courant et du commun avait de l’importance.
    Les autres, dans mon entreprise, ne sont pas que des personnes payées par la même société, mais nous avons un présent commun, des réalités communes que le confinement ne me permet plus d’expérimenter !

J’ai même pu noter une envie d’aider les clients dans la difficulté.

Dans notre entreprise, ce fut l’occasion de mettre en place un projet solidaire d’accompagnement de dirigeants en détresse du fait de la crise économique.

Il va voir le jour d’ici début juin.

Au sein de cette petite entreprise, nous avons expérimenté que globalement, tout a fonctionné, différemment certes, mais tout a fonctionné.

Donc, le retour à « la normale » ne se justifie peut-être pas totalement.

Il faut évidemment corriger les défauts de l’organisation qui a dû être mise en place dans l’urgence du confinement.

Mais, à notre échelle, dans notre métier… ça marche !

Contraint par la crise sanitaire, bon nombres d'entreprise ont expérimenté une meilleure organisation, moins de consommation d’énergie, plus d’équilibre vie personnelle / vie professionnelle..

Réinventer le rapport au travail

Contraint par la situation, nous avons expérimenté une meilleure organisation, moins de consommation d’énergie, plus d’équilibre vie personnelle / vie professionnelle, etc.

Nous avons donc la capacité, quand tout pourra redevenir « comme avant », à faire en sorte que ce ne soit pas totalement « comme avant » : le retour à la normale signifierait inévitablement le retour à « l’anormal » !

Nous aurons la possibilité, même dans les locaux de l’entreprise, de se demander si telle impression est indispensable, s’il ne serait pas possible de limiter ses déplacements physiques plus régulièrement, à la fois pour sa propre qualité de vie, celle des autres (moins de personnes dans les transports ou sur la route), et peut-être aussi sur un plan écologique…

L’attention aux plus démunis que nous avons pu expérimenter par des actions très diverses, et parfois peu visibles, peut se poursuivre, dans une démarche individuelle.

Mais, il peut aussi être question au sein de son entreprise de donner une dimension solidaire, sociale, humaine : le mécénat de compétences, les missions de solidarité, …

Récapitulatif

La solidarité humaine n’a pas de limites et tout commence par de petites choses, à notre échelle, de PME, de TPE, d’individus.

Au-delà des conséquences dramatiques vécues dans un grand nombre de famille, par des entrepreneurs démunis face à la crise économique, le confinement et ses conséquences ont surement été porteurs d’effets bénéfiques pour nos entreprises (quelques soient leurs tailles).

Cela commence par une question individuelle : ai-je envie d’un retour à « l’anormal » ou à la « normale » ?

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